Histoire - N°169 - Décembre/Janvier 2020

Quand Royan chassait les marsouins !

Il n’était pas rare que des marsouins à la fin du XIXe début XXe siècle s’approchaient des côtes royannaises. Ils étaient alors chassés à mort et les pêcheurs récompensés par des primes payées par l’État. Retour sur une époque heureusement révolue.

Christophe Bertaud

C’est une autre époque, un autre siècle où la disparition des espèces, le réchauffement climatique et l’écologie n’existaient pas encore. Dame nature régissait la vie des marins. Lorsque des marsouins s’approchaient des côtes, ils étaient chassés par la population pour protéger leur zone de pêche mais aussi en quête de revenus complémentaires.

Le marsouin commun est le mieux connu de la famille des marsouins. Il fait partie en fait d’une famille qui regroupe six espèces de cétacés marins à dents.

Le Bulletin ostréicole et maritime de Marennes explique les raisons de la chasse aux marsouins dans un article du printemps 1894 : « Le grand ennemi des pêcheurs, le destructeur du poisson sur nos lieux de pêche, c’est le marsouin, et de toutes parts, la lutte contre lui s’organise, les essais d’engins pour sa destruction se succèdent rapidement en vue d’expérimenter l’efficacité de chacun d’eux. » Si, dans l’article, on cite que « le marsouin n’est pas un méchant animal », « on lui attribuait des sentiments presque humains », mais son défaut impardonnable est qu’il est « très déloyal, en effet, car avec une intelligence dont on ne le croirait pas susceptible, non seulement il pêche en pleine mer et détruit des quantités de poissons, mais encore il sait utiliser à son profit les engins de pêche de nos marins ».

Les pêcheurs considèrent à cette époque le marsouin comme une espèce nuisible. Ils le chassent systématiquement. À partir de septembre 1893, le ministre de la Marine adresse aux quartiers d’inscription maritime des engins qui sont délivrés gratuitement aux pêcheurs pour la destruction des marsouins. « Ces engins seront les bienvenus à Royan où les marsouins font de fréquentes visites depuis quelque temps et des visites très indiscrètes puisqu’ils viennent jusque dans le port et sur le sable de la grande conche, au risque de se mettre à sec. »

« Un énorme marsouin, qui avait dû être harponné au large, est venu s’échouer dans les rochers de Terre-Nègre, près des Pierrières. Ce sont des baigneurs, en se promenant, qui l’ont découvert. Ce curieux cétacé portait près de l’ouïe gauche une blessure faite sans nul doute avec un harpon » rapporte Le Conservateur du 20 septembre 1896.

En février 1897, les pêcheurs demandent à ce que des primes soient accordées aux pêcheurs qui détruiraient dauphins, marsouins et autres cétacés nuisibles. L’État les leur accorde. Il y a peu d’articles dans les journaux locaux concernant ces chasses, ce qui laisse supposer qu’elles étaient plutôt rares mais néanmoins présentes. « Un marsouin de taille moyenne a été harponné le 29 juin par le nommé Henri Blanchard, marin à bord du bateau-pilote Bénédict, de Royan. Conformément à la destruction de ces cétacés, l’équipage a accompli les formalités d’usage en vue de toucher le montant de la prime », peut-on lire dans Le Conservateur du 6 juillet 1902.

Contrairement à Oléron où les bancs de marsouins sont systématiquement exterminés, les pêcheurs de la côte royannaise sont plus attentifs aux conséquences bénéfiques de leur présence. Deux pêches miraculeuses font alors la une des journaux. La Petit Gironde du 27 février 1895 revient en détail sur l’une d’elle : « Une pêche vraiment miraculeuse à la seine vient d’avoir lieu aujourd’hui sur les côtes de la presqu’île d’Arvert, en Bonne-Anse, le sieur Lambert Luc, patron, au Médoc, était venu tenter, à bord de la pinasse Le Travailleur, le hasard sur les côtes de la presqu’île. Il a eu tout lieu de s’en féliciter, car les mules étaient tellement nombreux, se trouvant poursuivis par des marsouins que l’équipage s’est trouvé incapable de ramener le filet à bord, il lui a fallu l’aide des différents habitants du littoral, tels que les douaniers et les ouvriers employés à la dune, le tout évalué à une quarantaine de personnes. Encore ont-ils été obligés d’attendre la marée basse. On peut évaluer de 80 à 90 tonnes le poisson pêché. Bien que cela paraisse impossible, il n’a pas fallu, pour ramener le produit de cette pêche, moins d’une quarantaine de voyages de charrettes de quatre bœufs, et d’une vingtaine de voyages avec une voiture à un cheval. » Le poisson est expédié partout et deux chaloupes sont affrétées pour le transport. La valeur du poisson pêché cette journée est évaluée à 35 000 francs soit une somme de près de 140 000 euros d’aujourd’hui. « Jamais, de mémoire de vieux pêcheurs, pareil fait ne s’était produit sur nos côtes. »

À Royan, en février 1909, des pêcheurs sont attentifs à la présence des marsouins rapporte Le Conservateur : « Avant-hier, des pêcheurs longeant la Grande-Conche remarquèrent, au large, une bande nombreuse de marsouins qui semblaient poursuivre un banc de poissons, pendant qu’une grande quantité de mouettes voletaient à petite distance du rivage. Cette double indication leur fit supposer qu’une “mouvée” de mules fuyait devant les marsouins cherchant un refuge sur la grève, où l’eau n’était pas assez profonde pour qu’ils fussent atteints. Le sieur Soulard s’empressa d’armer une épinasse et jeta son filet, qu’il ramena avec l’aide de plusieurs personnes chargés à rompre. Quatre charrettes furent remplies de ce prodigieux butin qui représentait le poids respectable de 800 kilos de poisson. »

Aujourd’hui, dans le monde, les effectifs des marsouins tendent à régresser. Les raisons de ce déclin tiennent sans doute à la pollution marine et à la mort par noyade à cause des filets de pêche. En France, le marsouin commun est devenu rare. Il est encore régulier en Manche et sporadique en Atlantique jusqu’au nord du pertuis charentais et absent ailleurs.

Et si, par bonheur, un petit groupe venait à s’approcher de la Côte de Beauté, nul ne doute que tout serait fait pour protéger les marsouins. Le monde a bien changé en un siècle.

Photo : la pêche à la senne sur la côte royannaise.

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