« Le port de Royan sent vibrer Cordouan à chaque traversée »
Désormais inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, le phare de Cordouan a enregistré un record de fréquentation durant la saison estivale. Entrée fracassante dans une nouvelle ère, non sans faire briller les yeux de Françoise de Roffignac, vice-présidente du Smiddest (Syndicat mixte pour le développement durable de l’estuaire de la Gironde), gestionnaire du phare.
La Côte de Beauté – Comment avez-vous réagi en apprenant l’heureuse nouvelle ?
Françoise de Roffignac – J’ai versé une petite larme ! C’était la conclusion d’un long travail pour fédérer les deux rives et les services des différentes collectivités. Tout le monde était conscient qu’il fallait le faire mais personne ne se rendait compte du travail à mener. Cette œuvre collective s’inscrit dans la durée et dans l’histoire, c’est super. Maintenant, l’émotion s’accompagne d’une grande conscience de tout ce qu’il nous reste à faire pour transmettre au mieux ce monument aux générations futures. Il ne suffit pas d’un claquement de doigts, il faut continuer à surveiller s’il n’y a pas de nouveaux travaux à faire. On doit garder l’intégrité du phare. C’est une grande charge sur nos épaules.
Avez-vous « tremblé » jusqu’au bout ?
On était comme un élève qui attend la note du prof, savoir si c’était un 12 ou un 19/20. Mais, deux mois avant l’acte officiel, l’avis des experts était positif, avec des petits points sur lesquels il fallait retravailler. En cas d’un avis négatif, on aurait été sens dessus dessous, complètement chamboulés. Pour tout vous dire, au moment de la décision, il n’y a même pas eu une once d’hésitation ou une remarque d’un ambassadeur. Ça s’est fait en quelques secondes. Presque trop vite, d’ailleurs. Ça nous a surpris. En même temps, ça veut dire que c’était évident pour tout le monde.
Ressentez-vous déjà un engouement, un intérêt encore plus prononcé, autour du phare ?
Complètement, il y a eu un effet immédiat. Le mois de juillet a été exceptionnel, avec pratiquement 6 800 entrées. Un record depuis que le Smiddest gère le phare ! 10% de plus que la meilleure année, en 2011 [pour les 400 ans du phare, NDLR]. C’était complet en permanence, aussi, en août. Des gens se cassaient le nez devant la Sirène (croisiériste à Royan) parce que c’était plein jusqu’à fin septembre. Il n’y a plus une place, c’est impressionnant. Le port de Royan sent vibrer Cordouan à chaque traversée. Économiquement, c’est un atout supplémentaire.
Et au niveau de la clientèle étrangère ?
Les pays nordiques sont très attentifs. Des journalistes allemands et d’autres pays du Nord sont venus faire des reportages qui ont eu un succès énorme. Donc les Allemands, qui sont assez friands de notre côte, vont peut-être bientôt s’arrêter à un endroit qu’ils ne connaissaient pas. Il faut être vigilant car tout le monde ne peut pas aller à Cordouan. Les contraintes dans le fût du phare restent les mêmes, en matière de sécurité.
Pouvez-vous, quand même, aller au-delà des quelque 24 000 visiteurs annuels ?
L’objectif est fixé à 30 000, maximum. L’allongement de la période de visite va nous permettre d’augmenter le nombre de visiteurs. Maintenant que les travaux sont terminés [CB n° 172], on pourra peut-être, dès 2022, élargir les ailes de saisons. Il peut aussi y avoir des visites autour de Cordouan pour se rendre compte de sa position stratégique et de « l’ambiance » environnementale. Ça commence à titiller beaucoup de gens qui ne s’y intéressaient pas ou qui ignoraient la présence de cette pépite.
La découverte de Cordouan, depuis la terre ferme, est-elle amenée aussi à se développer ?
Avoir des lieux de lecture est quelque chose d’hyper important pour l’Unesco. Le musée de Royan, depuis sa réouverture [CB n° 173]propose des choses spécifiques sur le phare. Au Parc de l’estuaire, on peut y explorer sa biodiversité. Une sorte de centre d’interprétation devrait voir le jour dans les années à venir.
Pour le « visiter » sans prendre le bateau ?
Être en immersion, disons. L’idée est d’utiliser les nouvelles technologies pour permettre, à ceux qui ne peuvent y aller, d’avoir ce partage. Il existe déjà une vidéo 3D pour comprendre l’évolution du phare au travers des siècles et son importance.
Le phare est-il inscrit à vie ?
Non. Il y aura un premier bilan fin 2022. Les experts viendront voir si l’on respecte bien les règles correspondant aux bâtiments inscrits. Ils attachent aussi une importance à l’appropriation. L’endroit doit être porté par la population du secteur. Sinon, à leurs yeux, à un moment, le savoir ne pourra pas être transmis. Toute une histoire accompagne le phare et il faut qu’elle perdure si l’on veut mobiliser les gens pour qu’ils le protègent.
Photo : Sacré par l’Unesco le 24 juillet dernier, le phare de Cordouan rejoint des sites tels que le Taj Mahal, le Grand Canyon ou encore la Grande muraille de Chine sur la prestigieuse liste qui désigne des biens présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. (© Reflet du monde / Smiddest)
Verbatim
« Une formidable nouvelle pour notre patrimoine maritime. Les efforts de plusieurs générations de femmes et d’hommes, qui ont permis de le préserver depuis quatre siècles, sont reconnus. Ce phare continue de symboliser le génie français et la richesse de notre histoire maritime. Après avoir guidé des milliers de marins et leurs embarcations, le phare de Cordouan nous dirige sur le chemin de la connaissance de notre patrimoine maritime. Je lancerai une mission pour poursuivre ce travail de pédagogie et de préservation. » Annick Girardin, ministre de la Mer
« Aujourd’hui ne marque pas une fin mais un début. Il nous appartient maintenant de poursuivre ensemble notre travail, de continuer à préserver et valoriser ce monument et ce site unique, d’assurer sa transmission aux futures générations car c’est un héritage précieux pour toute l’humanité. » Fabienne Buccio, préfète de la Région Nouvelle-Aquitaine
« C’est un monument exceptionnel mais aussi un emblème de nos territoires. Maintenant, il appartient au monde entier... » Vincent Barraud, président de la Communauté d’agglomération Royan Atlantique
« Cette reconnaissance aura des retombées positives pour Royan, qui se trouve dans la zone tampon du monument, et qui abrite, avec le musée, un des sites-relais à terre. La ville de Royan a activement soutenu la candidature de Cordouan, a aussi cherché activement des soutiens médiatiques, comme Jean-Pierre Pernaut, Muriel Robin, Harry Roselmack ou Philippe Candeloro. » Patrick Marengo, maire de Royan
« J’invite vraiment tous nos concitoyens à visiter cet élément extraordinaire qui résiste au vent, aux tempêtes, à la fureur de l’Océan. Et d’aller le visiter aussi pour voir ce qu’est l’estuaire de la Gironde, cet estuaire un peu particulier avec un vrai chenal mais, en même temps, des zones émergées lorsque la marée se retire. » Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine
Une grand-messe sur la rive droite en 2022 ?
Alors que des festivités étaient organisées au Verdon, le week-end des 25 et 26 septembre, le Smiddest planche sur l’organisation, en 2022, d’un « bel évènement » sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde. D’ici là, Françoise de Roffignac ne serait pas étonnée, dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle, de recevoir des demandes de personnalités politiques pour visiter le phare, qu’elles émanent de candidats ou d’actuels ministres, et même du président de la République.
Les dates clés de l’inscription
2002 Inscription sur la liste indicative nationale des biens du patrimoine mondial
2016 Lancement officiel de la candidature
2016-2018 Élaboration du dossier et validation des différentes étapes auprès du Comité français pour le patrimoine mondial
2019 Dépôt officiel du dossier de candidature par l’État auprès du centre du patrimoine mondial
2019-2020 Évaluation internationale du dossier de candidature par l’Icomos (Conseil international des monuments et des sites)
2021 Comité du patrimoine mondial : le phare de Cordouan rejoint les biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco