Le Tour de France se repose à Royan
Si le Tour de France 2014 ignore totalement l’ouest de la France et sa façade atlantique, Royan a été ville étape lors de sept éditions en 1937, 1938, 1939, 1958, 1966, 1968 et la dernière fois en 1972. Le Tour découvre furtivement Royan pour la première fois en 1937 puis l’accueille pour les deux éditions suivantes lors d’une étape - repos.
La première excursion rapide du Tour de France à Royan en 1937 est couronnée d’un large succès puisque dès l’année suivante les organisateurs choisissent la cité balnéaire pour en faire la première étape – repos de l’édition 1938. Le Tour restera alors trois jours, trois jours de festivités à Royan. Demandez le programme. Le soir de l’étape du vendredi 8 juillet, on peut apercevoir «le cinéma du Tour, séance en plein air, rigoureusement gratuite et qui donnera le plus remarquable documentaire parlé tourné jusqu’ici et au jour le jour sur la titanesque épreuve» suivi d’une grande soirée sportive au casino. Le lendemain est la journée de repos pour les coureurs sauf pour le maillot jaune qui donnera au rond-point de la poste le départ d’une course cycliste interclubs. «La journée de repos fut l’apanage des chasseurs d’autographes. Dès le matin, kodak en bandoulière, carnet à la main, ils guettaient, tels des pionniers dans la brousse, la proie qui soudain allait se présenter devant eux. Malheur au champion qui avait la hardiesse de quitter son logis ! Il était immédiatement reconnu, assailli, et, inlassablement, il devait signer ou… mourir !», publie le journal Royan. Au casino, un concours de bicyclettes fleuries a lieu dans la matinée et un gala des sports et un feu d’artifice dans les jardins le soir. Le dimanche, les coureurs quittent la ville à 13 heures pour aller à Bordeaux. Le Journal de Royan recommande à ses compatriotes «de décorer, durant ces trois jours, leurs rues et leurs demeures. On a pu le voir l’été dernier, dans les mêmes circonstances, l’impression de vie, de gaieté, de couleur que donne une ville harmonieusement pavoisée.» Le journal Royan revient le 17 juillet 1938 sur l’étape royannaise : «Ce fut comme une bourrasque d’enthousiasme et de fièvre qui s’abattit, durant trois jours, sur Royan. Une frénésie inconnue s’empara de tous. Puis en quelques minutes notre cité retrouva le rythme habituel de sa vie balnéaire. La fièvre était tombée. Il ne reste plus maintenant qu’une sorte de nostalgie que chacun de nous essaie de dissimuler au fond de son cœur et surtout un grand sentiment d’admiration pour les géants de la route.» L’étape et la journée de repos sont un véritable succès pour Royan, les coureurs et les suiveurs du Tour 1938. «Nous y avons tous gagné ! De cela nous en avons la certitude. Nous nous permettons donc d’émettre le vœu que le Tour de France reviendra à Royan l’an prochain et les années suivantes et que la municipalité, la société des commerçants et les organisateurs feront, comme pour ces deux dernières années, les efforts nécessaires. Car il ne peut plus y avoir de Tour de France sans Royan.»
Le message a été entendu et les organisateurs du Tour reconduisent alors l’expérience en 1939. Ils fixent de nouveau une journée de repos après l’arrivée de l’étape. «Les représentants de la presse sportive avaient été conviés à une partie de pêche. Les soigneurs, suiveurs, chauffeurs etc à des ébats nautiques. Et les coureurs, à se reposer ! Les ébats nautiques furent particulièrement réussis. Même un peu trop au gré des milliers de touristes venus spécialement pour voir les spécialistes du vélo», rapporte le Cri de Royan. Malheureusement le temps n’est pas de la partie. Les curieux font le pied de grue sous la pluie devant les hôtels des coureurs. En ce samedi 15 juillet 1939, la pluie s’est invitée toute la journée, «du moins l’arrivée fut-elle ensoleillée. L’arrivée seulement, car à peine un quart d’heure avant, les vannes célestes étaient ouvertes. Entre-temps le soleil se souvenait qu’il était au mois de juillet : l’asphalte se couvrait alors d’une légère vapeur.» Les organisateurs ont innové et déplacé la ligne d’arrivée des années précédentes boulevard Garnier «en haut d’une côte assez dure, en haut de la bosse du boulevard Georges-Clemenceau. Le sprint final s’en trouvait évidemment chargé d’un supplément d’effort qui n’était point pour déplaire aux sportsmen assemblés afin de jouir du spectacle.» Le rédacteur en chef du Cri de Royan, Fernand Bisch, regrette de ne pas avoir reçu d’invitation pour pouvoir faire son travail et suivre correctement le Tour de France en cette année 1939. Est-ce la raison pour laquelle il imprime un extrait du journal Paris Soir défavorable à l’organisation : «L’arrivée de Royan est bien différente de celle des autres étapes. Ici, pas de vélodrome, pas de ligne droite sur une grande allée, mais une tribune miniature. En haut d’un côté, ou presque, trois petits drapeaux vous disent : “C’est ici ! Vous y êtes!” Cela vous a plutôt l’air d’une arrivée de gymkhana ou de course à âne ou en sac.» Le récit est dur car le succès est néanmoins au rendez-vous. Un autre journaliste du Cri écrit plus tard qu’il a assisté pour le vainqueur au «triomphal accueil que lui fit Royan» et notamment «par la population tout entière».
Mais le Tour, c’est plus que des coureurs, «c’est la caravane des voitures publicitaires, avec son hurlement d’airs à la mode, et sa publicité vantant les qualités extraordinaires de cinquante produits les plus divers; de l’apéritif au cirage, du chocolat au papier à cigarettes. Il n’est pas du tout question de sport. Le Tour de France, c’est une kermesse. Une foire qui se balade. Une foire gigantesque, qui bouleverse tout sur son passage et qui passe trop vite.»
Après trois années consécutives, Royan semble s’inscrire dans la durée comme ville étape pour accueillir le Tour de France. Mais le climat international est sombre. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale va briser cet élan et il faudra attendre près de vingt ans pour apercevoir de nouveau les coureurs et le maillot jaune dans la ville de Royan.
Christophe Bertaud
Photo : Pages est le vainqueur de la deuxième demi-étape entre La Rochelle et Royan sur l’étape Nantes – Royan et reçoit les baisers des jeunes filles du pays.