Histoire - N°123 - Avril/Mai 2013

Les jetons de Royan

 

En 1922, la première action de la jeune Société des commerçants et industriels de Royan est de faire réaliser des jetons de 5, 10 et 25 centimes pour pallier la pénurie de monnaie divisionnaire et rendre ainsi service aux commerçants de la ville et du canton de Royan dans l’attente des nouveaux jetons monnaie de l’Etat de 50 centimes, 1 ou 2 francs édités sous le nom des Chambres de commerce de France.

Une des conséquences du déclenchement de la Première Guerre mondiale est la raréfaction de la petite monnaie. La thésaurisation des monnaies d’or et d’argent (pièces de 2 francs, 1 franc, 50 centimes) conjuguée aux besoins de plus en plus important de pièces, notamment pour les soldats au front ou pour payer les femmes dans les usines, ainsi que la réquisition des monnaies de nickel intensifient cette pénurie de monnaie divisionnaire (les pièces de 2 francs, 1 franc, 50 centimes, 25 centimes, 10 centimes, 5 centimes, 2 centimes et 1 centime). Cette monnaie est pourtant nécessaire pour les achats du quotidien : un journal coûte 10 centimes, le prix du kilo de pain est d’un franc tandis qu’un litre de lait au détail à domicile coûte 75 centimes au printemps 1922, une place de cinéma en seconde est de 1,50 franc.

L’Etat n’a pas prévu cette situation et la pénurie de petites pièces sévit de manière générale dans le pays. Pour faire face, les Chambres de commerce viennent au secours de l’Etat avec la création et la diffusion, dès 1914, de «monnaies de nécessité» sous forme de «bons de monnaie en papier». Chaque Chambre de commerce dans sa circonscription émet des coupures comprises entre 50 centimes et 2 francs. Ces émissions sont garanties en contre-partie d’un dépôt à la Banque de France et sont «officiellement» encouragées par l’Etat devant le manque cruel de pièces. L’armistice de novembre 1918 ne met pas un terme aux problèmes des petites monnaies. A Royan, on peut trouver des billets de nécessité de 50 centimes et de 1 franc émis par la Chambre de commerce de Rochefort en 1915 puis en 1920, dont elle dépend. On y trouve également les billets de nécessité de la Chambre de commerce de La Rochelle pour les mêmes valeurs.

Cependant, les plus petites pièces de monnaie manquent toujours. Des sociétés de commerçants mettent alors en circulation des jetons de petites valeurs pour pallier la pénurie monétaire à laquelle sont confrontés leurs membres et aussi favoriser les remises de petites monnaies au sein des commerces. Dans le département, la Société du commerce et de l’industrie de l’arrondissement de La Rochelle émet, dès 1917, les premiers jetons en fer-blanc étamé de 5, 10 et 25 centimes, suivie par le Syndicat du Commerce et de l’Industrie de Rochefort avec des jetons de 5 et 10 centimes, ainsi que par l’Union des commerçants de Jonzac. Ces jetons, contrairement aux coupures «officielles» des Chambres de commerce, ne sont pas autorisés mais relèvent tout de même d’une émission «semi-officielle» car leur montant est garanti par un dépôt en numéraire, équivalent à l’émission, placé en bons du trésor auprès de la Banque de France.

C’est dans ce but qu’une Société des commerçants et industriels de Royan est officiellement constituée le dimanche 5 févier 1922 en présence de deux invités d’honneur, M. de Palomera, président de la Fédération des groupements commerciaux et industriels de France, et M. Gourlin, secrétaire général de l’Union des Sociétés commerciales des Charentes et du Poitou, mais également conseiller municipal de La Rochelle. Le 28 février, le conseil d’administration, réuni pour élire son premier bureau, se fixe comme premier objectif «de mettre très prochainement à la disposition de tous les commerçants et industriels, des jetons en aluminium de 0,10 franc et 0,25 franc dans le but de supprimer les timbres-poste d’un emploi désagréable sous bien des rapports», rapporte le Journal de Royan du 5 mars 1922. Les timbres de 5 et 10 centimes font également office de monnaies. Ils sont échangés comme des pièces. A partir de 1920, les timbres-monnaies apparaissent en encapsulant des timbres de 5 à 35 centimes dans des capsules ou jetons métalliques en fer-blanc ou aluminium, recouverts d’une rondelle transparente en mica ou cellophane, le tout étant serti pour assurer la protection du timbre. L’autre face sert alors de support publicitaire varié comme par exemple pour les huîtres vertes de Marennes produites par Emile Jacou Fils.

La nouvelle société nomme Maurice Filleux président, MM. Goudeau et Cassanet, vices-présidents, M. Chabot, secrétaire, M. Bouron, secrétaire-adjoint, M. Taptout, trésorier et M. Rémigiraud, trésorier adjoint.

La jeune Société des commerçants et industriels de Royan trouve auprès de la Société du commerce et de l’industrie de l’arrondissement de La Rochelle toutes les informations pratiques pour lancer très rapidement sa propre émission de jetons. Elle se réunit en assemblée générale le 6 avril 1922 dans la salle du cinéma Pathé à Royan et expose aux membres présents son fonctionnement intérieur comme tous ses rapports avec les fédérations similaires. Le président Maurice Filleux «a donné des explications sur l’émission des jetons émanant de la Chambre de commerce de La Rochelle [NDLR, en réalité il s’agit de la Société du Commerce et d’Industrie de La Rochelle] et sur l’émission prochaine de jetons de 5, 10 et 25 centimes à l’effigie de Royan. M. Cassanet à son tour expliqua le système financier du projet et M. Rémigiraud rendit compte de la visite qu’il fit à ce sujet au graveur de ces jetons. Voilà qui va hâter le retrait des coupures crasseuses et microbicides.» La société qui compte environ 225 membres souhaite «que tous les commerçants et industriels du canton y adhèrent dans leur propre intérêt et sans exception. Ce sera aussi un encouragement pour le conseil d’administration qu’il faut féliciter de son labeur et de son intelligente initiative.»

Au cours de l’été, les jetons de la Société des commerçants et industriels du canton de Royan arrivent au secours des commerçants. Trois jetons sont mis en circulation, deux pièces rondes en aluminium de 5 et 10 centimes et une pièce en aluminium octogonale de 25 centimes qui correspond à la même série émise par la Société du commerce à La Rochelle. Car forte du succès de ses premiers jetons en 1917, la Société du commerce rochelais a renouvelé son opération à la fin de l’année 1921 en confiant à l’un des principaux graveurs de jetons en France, la maison Thévenon Cie à Paris, la réalisation de nouveaux jetons en aluminium pour des pièces de 5, 10 et 25 centimes. Si à La Rochelle on a mis naturellement une vue des deux tours et l’entrée du port sur l’avers des pièces, Royan a choisi le phare de Cordouan rayonnant de ses feux qui éclaire les nouveaux jetons de Royan-sur-l’Océan gravé sur l’avers du jeton. Sur le revers des pièces, les valeurs sont dans un cartouche carré entouré de feuillages et d’épis de blé.

Parallèlement à ces émissions «officielles» et «semi-officielles», un troisième type d’émission existe : celles des sociétés privées, des industriels ou des commerçants indépendants Leur rayon d’action est généralement limité à l’entité émettrice. Ces piécettes en métal ordinaire (principalement en aluminium, zinc ou laiton) échappent totalement au contrôle de l’Etat. C’est un moyen de servir les clients tout en les fidélisant car ces jetons n’ont de valeur que dans les établissements. On trouve ces émissions privées le plus souvent dans les cafés et les restaurants. A Royan, ils ont été produits au Café et Grand Café des Bains, situé à l’angle de la rue Gambetta et de la rampe Lessore (actuellement rampe Torchut) qui est le rendez-vous incontournable des baigneurs les plus fortunés. Des jetons de 50, 60, 75 centimes, 1 et 2 francs avec gravé à l’avers Café des Bains, Royan ou bien des jetons du Grand Café des Bains, Royan de 5, 30, 40 centimes qui ont été référencés dans des catalogues spécialisés sur les jetons de nécessité. A Ronce-les-Bains, la clientèle bourgeoise, qui fréquente Le Grand Chalet – Casino (café, restaurant, avec tables luxueuses, salons particuliers, salon de conversation, salle de billard, piano, cabines de bains, jardin d’agrément) peut utiliser les jetons de 25 et 50 centimes et de 2 francs émis pour la clientèle.

A partir de la fin d’année 1922, les coupures des Chambres de commerce et les différents jetons des sociétés de commerçants commencent à être remplacés par de nouvelles pièces émises par l’Etat sous le nom des Chambres de commerce de France. Ces «Bon pour» 50 centimes, 1 ou 2 francs sont frappés au total à 1 044 642 214 exemplaires jusqu’en 1927 pour rétablir une monnaie homogène. Ces pièces ne seront démonétisées qu’en 1949.

 

Christophe Bertaud


 

Appel aux lecteurs : l’auteur invite toutes les personnes susceptibles de pouvoir lui fournir des renseignements ou des illustrations sur ces monnaies à prendre contact avec lui à l’adresse suivante : clarome17@gmail.com

 

 

Commentaires des internautes
misterB - le 29/05/2013 à 04:17
Monsieur clarence17 aime-t-il partager ses illustration comme il le laisse supposer, ou son adresse email ne marche-t-elle point ?
Bien cordialement,
MisterB
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