La Côte de Beauté - N°84 - Septembre/Octobre 2006

Les ostréiculteurs tirent la sonnette d’alarme

Depuis plusieurs années, les sécheresses successives entraînent une salinité trop élevée dans le bassin de Marennes-Oléron. Les conséquences sur l’environnement en général et sur la production d’huîtres en particulier, sont très préoccupantes.

 

Les ostréiculteurs sont inquiets. Le taux de sel contenu dans l’eau du bassin de Marennes-Oléron est trop élevé pour assurer correctement la reproduction et le développement des huîtres. Si les coquillages prospèrent dans l’eau de mer, l’apport d’eau douce est indispensable au processus. Alors que la concentration varie normalement entre 25 et 32 grammes de sel par litre d’eau, on a relevé cet été des pics à 35 grammes par litre. «Le problème de la salinité de l’eau dans le bassin de Marennes-Oléron est récurent depuis plusieurs années», indique François Patsouris, président de la section régionale conchylicole (SRC). «Les sécheresses successives et l’irrigation très développée dans les bassins de la Seudre et de la Charente en sont à l’origine.» En se jetant dans l’océan, les deux fleuves sont censés y apporter de l’eau douce. Il devrait s’en déverser 10 m³ par seconde. Mais les prélèvements en amont pour l’agriculture, combinés à la sécheresse, font que «les apports d’eau douce à l’océan sont très minorés».

Devant la situation «et l’incapacité des pouvoirs publics à résoudre le problème», les ostréiculteurs ont manifesté leur mécontentement. Le 11 juillet, ils ont ainsi organisé une opération escargot sur la nationale 137 entre La Rochelle et Rochefort pour sensibiliser l’opinion publique sur l’état critique de la profession. La sonnette d’alarme a retenti jusqu’au ministère de l’Agriculture et de la Pêche, puisque Dominique Bussereau a envoyé deux jours plus tard un expert sur le terrain. Jean-Louis Beseme, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts, était chargé d’analyser les besoins en eau de l’ostréiculture et de l’agriculture, et de proposer des pistes pour une répartition équilibrée de la ressource.

«Il a rendu ses constatations très rapidement, mais avec beaucoup de justesse», reprend François Patsouris. Le rapport remis le 21 juillet note ainsi que «si en 2004 les pontes [des huîtres] ont été importantes, l’année 2005 se caractérise par une absence de ponte massive et une très faible survie larvaire». Il reconnaît qu’une concentration en sel de 35 grammes par litre «est supérieure à celle de l’eau de mer» et constate que «depuis 2001, la croissance des huîtres est nettement moindre que les années antérieures». Au final, il établit que «la baisse de productivité est évaluée à 30 %». Pour expliquer la diminution des apports d’eau douce dans le bassin, Jean-Louis Beseme indique qu’il y a «conjonction de plusieurs facteurs sans que l’on puisse faire porter la responsabilité plus particulièrement sur l’un d’entre eux». Néanmoins, il avoue que l’irrigation en Charente-Maritime a été développée «sans doute de façon excessive» depuis une vingtaine d’années.

 

400 000 m3 d'eau douce

 

Son rapport propose ensuite différentes mesures afin de mieux répartir la ressource en eau entre les différents utilisateurs. A côté de mesures de fond qui ne pourront être mises en place qu’à moyen terme (économies d’eau, création de réserves de substitution, favorisation de cultures moins consommatrices en eau…), une mesure d’urgence a fait la une des médias au milieu de l’été : un «lâcher d’eau exceptionnel» dans la Charente depuis la retenue de Breuil-Magné. Pendant la semaine du 8 août, 400 000 m³ d’eau ont ainsi était rejetés dans l’estuaire, par l’intermédiaire du canal de Charras. Les pouvoirs publics ont communiqué avec force sur ce qu’ils considéraient comme un geste d’apaisement dans une période de crise. Mais les ostréiculteurs ont profité de cette tribune médiatique pour exprimer leurs craintes une nouvelles fois. «Ces 400 000 m³ ne sont qu’une goutte d’eau douce dans l’océan, estime le président de la SRC. En été, le bassin de Marennes-Oléron est capable d’emmagasiner un million de mètres cubes par jour ! Cependant, devant la situation catastrophique et la sécheresse, même une goutte d’eau, on l’a acceptée.» Devant les micros et les caméras de France, mais aussi de nombreux pays européens, les ostréiculteurs ont expliqué que le manque d’eau douce entraîne «des déséquilibres importants dans les entreprises» et qu’ils avaient «de plus en plus de mal à faire les huîtres que le consommateur aime», à savoir les n° 3.

«Marennes-Oléron, c’est comme Saint-Emilion, c’est un endroit unique au monde. Nous sommes la carte de visite du tourisme de la région et nous entretenons le territoire.» Et François Patsouris insiste sur ce dernier point car, dans le bassin, les huîtres se reproduisent naturellement. «S’il n’y a plus d’ostréiculteurs, les baigneuses vont se couper en allant à la plage, et si les claires ne sont pas entretenues, il y aura des moustiques partout.» La profession veut être reconnue. «Nous ne pouvons pas rester les gardiens d’un territoire. Nous voulons en rester les acteurs.» D’autant que pendant plusieurs années, ils se sont battus pour structurer leur produit et obtenir des signes de qualité. «Au moment où nous y parvenons, nous risquons de disparaître à cause d’erreurs de l’Etat. Il est impensable que des aménageurs de territoires comme la DIREN (Direction régionale de l’environnement) aient laissé se développer autant l’irrigation sur les bassins versants.» Déjà, il annonce qu’une centaine de petits producteurs ne passeront pas la crise. Et au-delà de l’ostréiculture, c’est l’environnement dans son ensemble qui pâtit du manque d’eau en Charente-Maritime. «Il faudra bien un jour se pencher sur la question centrale : à qui appartient l’eau ?»

 

Photo : Maison des ostréiculteurs de Marennes-Oléron

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