Histoire - N°120 - Octobre/Novembre 2012

Les studios de la Côte de Beauté

 

Si La Rochelle affiche encore plus ses ambitions cinématographiques avec la création des studios de l’Océan prêts à accueillir des tournages en sus de ses divers festivals autour du film, Royan a pourtant été la première dans les années 30 à avoir ses propres studios de cinéma, les studios de la Côte de Beauté grâce à l’ambition d’un seul homme : Emile Couzinet.

Emile Couzinet est né en 1896 à Bourg-sur-Gironde, l’année même où le cinématographe Lumière arrive dans la région un an après son invention. Emile est fils d’un menuisier et rien ne le prédestine au départ vers le cinéma. Après une première expérience cinématographique malheureuse en février 1919 à Saintes, il rebondit en créant une société afin d’y louer des films. Sa première société de distribution s’appelle Burgus Films en hommage à sa ville natale girondine. Emile Couzinet développe en parallèle son réseau de distribution tout en exploitant plusieurs cinémas, le Gallia-Palace à La Rochelle en 1928, le Gallia-Select à Toulouse en 1930 et le Gallia-Palace et le Select-Palace à Agen. En 1932, c’est à Saintes qu’il revient pour reprendre le Gallia Théâtre. Il s’attaque également à la capitale girondine en reprenant plusieurs cinémas où il doit faire face à une concurrence féroce. Son développement l’amène naturellement vers Royan, haut lieu culturel et balnéaire. Il a l’opportunité de devenir à l’été 1931 le directeur de la Société des casinos de Royan. Le grand théâtre du casino devenu le Gallia Palace projette les films parlants à succès devant des spectateurs enthousiastes (le film parlant arrive en 1929). Emile Couzinet développe avec succès son affaire et trouve en la personne de Paul Métadier, maire très actif, un soutien inconditionnel à ses projets. Il est élu conseiller municipal aux élections de la ville et fourmille d’idées pour organiser fêtes et galas pour le plus grand rayonnement de Royan… et de son casino. Après la Première Guerre mondiale, l’industrie du film se développe et naissent les premiers studios de cinéma de province en dehors de ceux de la région parisienne aux Buttes-Chaumont, à Billancourt ou à Joinville. En 1919, sur les hauteurs de Nice, La Victorine devient le premier studio de la Méditerranée suivi de près en 1926 par les studios Nicéa à Saint-Laurent-du-Var. Marcel Pagnol aménage en 1932 près d’Aubagne ses propres studios pour y tourner ses projets. C’est dans ce cadre général de création de studios en province qu’Emile Couzinet pense lui aussi à créer ses propres installations afin de pouvoir y tourner des films en entier, scènes d’inté-rieurs et scènes d’extérieurs. Il trouve le lieu propice, les anciens magasins de décors du casino, situés près du champ de foire.

Le 5 août 1937, le Cri de Royan annonce la nouvelle : «Elle servait autrefois aux répétitions. Aujourd’hui, elle demeure inutile… et monsieur Cousinet n’aime pas que quelque chose soit perdu ! Eh bien, il rêve simplement de créer là un studio de cinéma (une usine à films). Et faisant réaliser lui-même six ou huit films par an, M. Cousinet occuperait ses studios pour ses propres films quatre ou cinq mois dans l’année.» Grâce à l’influence du député William Bertrand et du maire Paul Métadier, les démarches administratives auprès des autorités ministérielles sont vivement accélérées. Un an après en avoir émis l’idée, le projet avance rapidement durant l’été 1938. Une société de production au capital de 300 000 francs dont Emile Couzinet est le gérant et l’actionnaire principal est constituée. M. Couzinet signe le 17 juillet le devis d’un entrepreneur royannais et signale au Cri de Royan que «les travaux qui vont commencer vont être rapidement menés et que nous pourrons tourner chez nous à Royan, avant la fin de l’année, notre premier film, auquel, vous n’en doutez pas, nous apporterons notre déjà vieille expérience et nos soins les plus attentifs.» Ainsi naissent les premiers studios de cinéma de la Côte Atlantique.

Royan, capitale atlantique du cinéma s’affirme de plus en plus. «M. Couzinet vient de créer chez nous les studios cinématographiques dont il avait eu l’idée l’an dernier. Et chacun sait que chez M. Couzinet l’exécution suit de près l’idée. A cette occasion il a décidé d’intéresser la jeunesse de Royan à ses projets et l’a invitée, par voie d’affiches, à prendre part (en même temps qu’à Marseille) à un concours de futurs vedettes de l’écran» dont le Cri de Royan se fait largement l’écho. Le studio de Royan compte 5 plateaux, 3 de 40 x 16 mètres et 2 de 25 x 10 mètres, une piscine et un éclairage de 1500 ampères, soit un complexe de 2 500 m2. Si les dimensions n’ont rien à voir avec les studios Pathé-Cinéma à Paris, Royan tient facilement la comparaison avec Marseille qui ne compte que trois plateaux aux dimensions inférieures et sans piscine. Les vastes bâtiments se situent dans la rue actuelle Victor et Pierre-Billaud. «Les studios sont si intelligemment aménagés qu’ils permettent de tourner deux films à la fois. Inutile de vous dire qu’il y a toujours là un nombreux personnel, […] des ouvriers de toutes professions y trouveront du travail […]. Je crois que dans quelque temps, Royan fêtera un nouveau saint, grand thaumaturge, qui s’appellera Emile Couzinet pour les miracles accomplis aux studios de Royan.» Le Cri de Royan raconte en janvier 1939 les débuts des premiers tournages : «Le gros évènement du mois dernier à Royan a été sans aucun doute l’ouverture des nouveaux et importants Studios Emile Couzinet …qui se sont soudain animés, comme sous le coup d’une baguette magique et qui à l’heure où nous écrivons sont en plein rendement. A peine ce film est-il terminé qu’on nous en annonce déjà un autre pour janvier. Toutes les branches de l’industrie locale ne peuvent que se réjouir de cette bonne aubaine. M. Couzinet aura une fois de plus bien mérité de Royan et tous, du moins nous l’espérons, sauront lui en garder quelque reconnaissance.»

Emile Couzinet ne laisse le soin à personne d’autre qu’à lui-même de réaliser les films qu’il distribue ensuite. Quatre films sont tournés principalement dans les studios de Royan entre 1938 et 1944. Il s’agit de Le Club des fadas (1938), L’Intrigante ou la Belle Bordelaise (1940), Andorra ou les hommes d’Airain (1942), et Le Brigand gentilhomme (1943). Si les studios de Royan n’ont pas réalisé des grands classiques du cinéma français, les films produits par Emile Couzinet n’en étaient pas pour autant dépourvus de qualité, de bons divertissements «tous publics» qui pour chaque film ont atteint leur objectif initial en terme de rentabilité. Dans ces films, on retrouve des acteurs réputés de l’époque correspondant aujourd’hui aux vedettes de série TV ou de téléfilms. Durant la Seconde Guerre mondiale, les studios sont réquisitionnés par les Allemands et servent d’entrepôts. Même si les studios n’ont pas été détruits par les bombardements de janvier 1945, ils deviennent alors inutiles dans une ville totalement dévastée et sinistrée.

Emile Couzinet n’abandonne pas pour autant le cinéma et recrée après guerre de nouveaux studios à Bordeaux qui prennent alors le nom des Studios de la Côte d’Argent dans lesquels il tourne une vingtaine de longs métrages jusqu’à sa disparition, brutale en octobre 1964. Il n’oublie pas pour autant sa Côte de Beauté puisqu’en 1952, il revient tourner à Pontaillac des extérieurs du film Quand te tues-tu ?

 

Christophe Bertaud

 

Pour en savoir plus :

Citizen Couzinet, Hollywood sur Gironde de Françoise Mamolar, 2008, éditions Bonne Anse, 120 pages

Voir aussi La Côte de Beauté n° 8 et n° 9

 

Commentaires des internautes
armens liliane nee Genestre - le 04/03/2017 à 11:06
mosieur emile cousinet etait le patron de mon pere qui de 1929 à 1939 a ete le directeur à Agen des 2 cinemas le gallia et le select,on habitait a ce dernier,je l'ai même en photo au mariage de mon pere le 6 aout 1930 il etait son temoin,d'ailleurs moi je suis nee le 9 aout 1931 à royan ,car juillet,aout,septembre mon etait directeur de la salle de jeux au casino de royan malgré 85 ans je me souviens de toute mon enfance(car j'adorais mon pére. liliane armens née genestre
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