Philippe Tranchet, le père d’un Violon dingue
Il y a un peu plus de 20 ans, il demandait à un ami violoniste à l’Opéra de Paris de jouer sur la plage de la Grande conche, pour promouvoir sa radio locale. Philippe Tranchet a développé son idée, jusqu’à créer avec Un Violon sur le Sable un événement unique : un festival de trois concerts donnés sur la plage par un orchestre symphonique de 80 musiciens et des solistes reconnus internationalement. Trois concerts… gratuits.
Il est casanier, de son propre aveu. Discret à l’extrême, aussi, au point qu’on le croise rarement dans Royan. Autre trait de son caractère, il ne sacrifie aux photos qu’à son corps défendant. On pourrait même croire que monter, même brièvement, sur la scène d’Un Violon sur la Sable, «son» Violon, son bébé, lui est difficile. Philippe Tranchet est un homme singulier. Une énigme, même, pour certains Royannais. Lui donne l’impression de se moquer de la manière dont on le perçoit, pourvu, en revanche, qu’on ne tire pas sur son Violon.
Il a beau se faire rare dans Royan, Philippe Tranchet en est pourtant devenu l’une des figures et, paradoxalement, peut-être le plus Royannais des Royannais. Incapable de s’en éloigner durablement. Incapable d’envisager, a fortiori, de vivre ailleurs. Installé au cœur du Parc, Philippe Tranchet pourrait s’offrir une vue sur mer, mais l’entendre, toute proche, à peine étouffée par les pins, suffit à le rassurer. Parfois, la nuit, quand trop d’idées fourmillent dans son esprit de créateur ou si, simplement, ces fourmis trottent dans ses jambes, il allume un cigare, serpente dans le Parc jusqu’à la Grande conche. Cette grande plage où il a donné vie à deux idées lumineuses : le Mondial Billes et le festival Un Violon sur le Sable.
A chaque fois avec le même objectif en tête : remplir les caisses de Royan Fréquence, qu’il a lancée dès le 1er juillet 1981, à peine les radios libres autorisées par François Mitterrand.
Un Violon sur le Sable, finalement, porte peut-être mal son nom aujourd’hui. Car à l’origine, voilà plus de 20 ans maintenant, le Violon se déclinait réellement au singulier. Il était aussi — déjà — singulier. Imaginez, en effet, un violoniste, un seul, mais en tenue des grands soirs, en tenue de récital, de ceux qu’il donnait avec l’orchestre de l’Opéra de Paris. Seul sur le sable, donnant un concert pour les estivants, un concert retransmis sur les ondes de Royan Fréquence. «C’était drôle. Des gens écoutaient le concert sur la plage, mais avec leur transistor collé à l’oreille. On a même vu des gens passer exprès en voiture au bord de la Grande conche pour vérifier que le violoniste qu’ils entendaient à la radio était vraiment sur la plage», se souvient Philippe Tranchet.
Ce violoniste s’appelait — et s’appelle toujours, d’ailleurs — Patrice Mondon, frais retraité de l’Opéra de Paris, fidèle du Violon, aujourd’hui violoniste parmi les violonistes, mais pilier du cercle de Philippe Tranchet, que complète Jérôme Pillement, le chef d’orchestre «qui parle», Christophe Guillot, premier violon de l’orchestre, Benoît Fromanger, chargé des arrangements des pièces retenues au répertoire de chaque nouvelle édition, et Steeve Détaille, le chef d’orchestre des coulisses. Plus que des proches. Bien plus aussi que des collaborateurs, des partenaires. Ils sont les amis de Philippe Tranchet, très attaché à cette notion. Autour et sur la scène du Violon, Philippe Tranchet s’appuie sur eux. Qu’ils soient investis dans l’organisation ou qu’ils soient rituellement présents chaque soir pour le soutenir, ses amis savent déchiffrer le père du Violon. Ils connaissent les codes. Il leur suffit d’ailleurs d’entrevoir un nuage dans le ciel pour être certains de trouver Philippe Tranchet l’œil sombre, la mine fermée, faisant les cent pas derrière la scène. «Par contre, quand il allume un cigare, c’est qu’il est détendu», décrypte l’un de ses amis les plus proches.
Les yeux au ciel
Détendu, en réalité, Philippe Tranchet ne l’est jamais totalement, avant et pendant l’événement. Il en rirait presque lui-même, mais les prévisions météorologiques l’obsèdent, par exemple. A l’approche du premier concert, il peut les consulter dix fois par jour. Le vent est l’ennemi des musiciens, du maître artificier David Proteau, qui assure fidèlement le final pyrotechnique qui ponctue chaque concert. La fraîcheur est l’ennemie des spectateurs. La pluie, surtout, est l’ennemi de tous. Un événement en plein air doit composer avec le facteur météorologique. A fortiori le Violon sur le Sable, dont le concept est une prouesse sans cesse renouvelée. Nul autre festival en France, en effet, ne propose ainsi trois concerts classiques de deux heures au cours desquels des solistes de renommée internationale, habitués le plus souvent au confort des plus grandes salles, se produisent à la belle étoile, accompagnés par un orchestre symphonique de 80 musiciens. La prouesse est autant technique qu’artistique, mais Philippe Tranchet a eu l’audace de tenter ce pari.
Cette audace est presque inscrite dans ses gènes. Philippe Tranchet n’a pas attendu l’âge de «raison» pour oser. Dans son parcours, de ses années de lycée à Pons à la création de sa société Production 114, en passant par ses éphémères et loufoques carrières de banquier et de chanteur, l’audace, en réalité, l’a souvent disputé avec la créativité, l’inventivité même, l’originalité, forcément, et la fantaisie, aussi. Un mélange aussi contrasté que les différents pans de sa vie, puisqu’il fut aussi joueur de football semi-professionnel, puis consultant pour Canal +. Contraste… Un mot parmi tous ceux qui pourraient être utilisés pour qualifier Philippe Tranchet, son parcours et ses idées. «J’ai toujours essayé de cultiver les contrastes », convenait-il en 2010, d’ailleurs1. «Déjà, pendant le Mondial Billes, les arbitres portaient veste et cravate. Alors, quel meilleur contraste qu’un orchestre symphonique de 80 musiciens de l’Opéra de Paris en smoking ou robe de soirée et des solistes de renommée internationale jouant sur une plage pour un public assis dans le sable ? Je n’aurais jamais demandé aux musiciens du Violon de jouer en short et en chemise hawaïenne, ça n’aurait eu aucun intérêt.»
Il a vu juste. Un Violon sur le Sable détonne et séduit justement parce qu’il offre, littéralement puisque les concerts sont gratuits, les apparats des soirées de gala à l’opéra à un public souvent de béotiens. Un mariage des genres qui explique peut-être que certains médias spécialisés boudent encore l’événement. D’autres heureusement ont compris, comme les dizaines de milliers d’amoureux du festival, que le Violon fait somme toute beaucoup plus de bien que de mal à la musique classique.
1 Le Pays royannais, entre terre et mer, de Philippe Belhache, Ronan Chérel et Christophe Soulard, aux éditions Autrement (2010).
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