Histoire - N°95 - Juillet/Août 2008

Pierre Dugas du Mons

Par Guy Binot

 

Le Canada et la France célèbrent le 400e anniversaire de la fondation de Québec et, en particulier, la mémoire de Samuel Champlain qui fonda physiquement la ville en 1608, mais il n’est pas possible de passer sous silence le rôle de Pierre Dugua de Mons, premier colonisateur du Canada, organisateur, financier et patron de l’expédition de Québec. Ce gentilhomme huguenot royannais, premier colonisateur du Canada, fondateur de la Nouvelle-France en 1604 avec l’habitation de Sainte-Croix, puis en 1605 avec celle de Port-Royal en Acadie. Parmi ses assistants il a Samuel Champlain comme cartographe. Dugua de Mons laisse Port-Royal à la charge du capitane originaire de Saint-Malo, François Gravé ou Dupont-Gravé, quand il rentre en France en 1605 pour défendre son monopole. L’année suivante il finance l’expédition de Jean de Biencourt sieur de Poutrincourt à Port-Royal, lequel emmène avec lui Marc Lescarbot brillant avocat au parlement de Paris qui sera le mémorialiste de la première colonisation de l’Acadie. Dugua de Mons perd en 1607 son monopole sur le commerce des fourrures de castor promis pour dix ans, seule base financière de ses activités coloniales. Il donne l’ordre de quitter Port-Royal à tous ses colons et laisse la place à un Micmac indien Membertou. Pour le dédommager le roi Henri IV lui accorde un nouveau monopole temporaire en 1608. Voulant rester en France pour obtenir une prolongation de ce nouveau monopole, il envoie Champlain fonder cette nouvelle implantation coloniale. Mais celle-ci ne sera pas en Acadie car il cède son habitation de Port-Royal à Jean de Biancourt sieur de Poutrincourt qui en devient lieutenant général. Dugua et Champlain optent pour une implantation sur le Saint-Laurent. Pourquoi ce choix ? La première raison est certainement financière et concerne la traite des fourrures de castor. Cette région est bien supérieure à l’Acadie pour cette traite, notamment près du Saguenay, et de plus elle est plus facile à surveiller contre les trafiquants sur un fleuve que le long des interminables côtes d’Acadie. En outre, Dugua de Mons préfère envoyer Champlain loin de Port-Royal concédé à Poutrincourt, qui n’aurait sans doute pas accepté une quelconque concurrence de Champlain qui n’était pas noble bien qu’ayant ajouté sur ses ouvrages un «de» avant son nom. Quant à Champlain, il est, et restera toujours, à la recherche de cette route vers la Chine par l’ouest qu’il n’avait rencontrée ni sur le Saint-Laurent lors d’un premier voyage, ni plus au sud vers l’Acadie, il espère cette fois la trouver vers le nord de ce fleuve. Par contre l’hiver, l’embouchure du Saint-Laurent est bouchée par les glaces et les deux parties de la Nouvelle-France ne peuvent pas communiquer. Pourquoi choisir l’emplacement de Québec ? Marc Lescarbot a écrit : «Le sieur de Mons délibéra de se fortifier en un endroit de la rivière de Canada que les sauvages nomment Kébec», mais Champlain a déclaré : «Je n’en peus trouver rien de plus commode, ni mieux situé que la pointe de Québec.» On peut penser que ce choix résulte d’un accord complet entre Dugua de Mons et Champlain, un choix évident quand on regarde une carte du Saint-Laurent, c’est l’endroit où le fleuve se rétrécit, donc plus facile à défendre depuis un éperon rocheux qui le domine. Il est logique de penser que François Gravé, pilote chevronné du Saint-Laurent qui accompagne Champlain, n’est pas étranger à ce choix, or c’est une région où en 1603 il avait fait un accord avec le chef local Montagnais Anadabijou, lequel avait déclaré que les Français y pouvaient peupler leur terre, et l’accord des autochtones est indispensable à la survie de la trentaine de colons.

L’expédition de Champlain à Québec est décidée, financée et organisée par Pierre Dugua sieur de Mons, qui affrète les deux navires, choisit les dix-huit artisans qui accompagnent Champlain, fournit les provisions pour une année et tous les matériaux nécessaires à la construction d’un poste fortifié. Si Champlain fonde une nouvelle habitation à Québec le 3 juillet 1608, Dugua de Mons en est donc le cofondateur de l’habitation, dont il est en outre le propriétaire avec son association commerciale. Champlain va d’ailleurs baptiser «mont du Gas», en hommage à son patron, la colline au pied de laquelle il va implanter son habitation.

Revenu en France, Champlain accompagne le sieur de Mons à Fontainebleau pour tenter, sans succès, d'obtenir une extension du monopole. Dugua perd un ami et un protecteur avec la mort d’Henri IV, seul il soutient l’activité commerciale de Québec qu’il rachète en 1611. Puis il cède sa lieutenance générale au prince Henri de Condé en 1612, meilleur choix pour sauver sa colonie, et se retire de la direction des affaires du Canada, tout en y gardant un intérêt financier. Dugua est alors gouverneur de la place de sûreté de Pons jusqu’en 1618, puis se retire dans son château d’Ardenne. Il n’oublie pas sa Nouvelle-France car en 1619 il intervient vigoureusement au Conseil d’Etat pour soutenir Champlain quand les commerçants refusent son retour à Québec. Puis il meurt oublié en 1628. Tout va mal alors en Nouvelle-France, divisée entre l’Acadie et le Saint-Laurent. Elle est sur le point de disparaître. La France est en guerre avec l'Angleterre, la flotte de Richelieu est prise par les Anglais qui assiègent Québec et l’occupent l'année suivante. Les Anglais envahissent aussi la plus grande partie de l'Acadie où les Français n'occupent plus que le petit fort Lomeron au sud de la péninsule. Le peuplement de l’ensemble de la Nouvelle-France est un échec, elle compte 107 colons en 1628 contre 2 000 de souche anglaise dans la Virginie enrichie par son tabac. Cependant, l'existence même de notre colonie est tellement reconnue en France que Richelieu obtient de récupérer tout le Canada en 1632 car les conquêtes anglaises avaient eu lieu illégalement en dehors des périodes de guerre. La colonie va rester française jusqu'en 1763 mais certains Canadiens conservent la langue française. Alors pourquoi Dugua de Mons a-t-il été complètement oublié ? D'abord parce qu'il n'a rien écrit. Les documents de sa participation à la colonie ont tous disparu durant l'incendie de son château d'Ardenne lors de la Terreur. Ensuite parce que les historiens catholiques, en dehors de Lescarbot, ont volontairement passé sous silence l'œuvre de ce huguenot. Champlain dans ses derniers écrits, destinés avant tout au roi et surtout à Richelieu, ne peut accorder une place importante à un huguenot. Ensuite, l'histoire de la colonie est décrite par les jésuites dans leurs Relations qui ont volontairement occulté tout ce qui était huguenot, hérétique à leurs yeux.

Plus tard les Canadiens de souche française doivent lutter contre les Anglais protestants en affirmant un catholicisme très combatif, et cela jusqu'au siècle dernier. Toute la place dans les débuts de la colonisation du Canada a alors été prise, principalement à Québec, par son illustre adjoint puis brillant successeur, Samuel Champlain, qui a laissé de nombreux écrits, où jamais il n’attaque Dugua de Mons, et était, lui, catholique très proche des jésuites. A l’occasion de la publication d’un livre récent Champlain et les fondateurs oubliés de Mathieu d’Avignon, préfacé par Marcel Trudel, l’auteur estime que Champlain a volontairement, au fil de ses écrits, voulu s’octroyer par orgueil tout le prestige de la fondation de Québec.

Pour ma part, je pense qu’il ne pouvait faire autrement face au catholicisme, agressif, de la Cour de France et du cardinal de Richelieu, s’il veut sauver sa colonie et son poste. Il est d’autant plus tenu de le faire qu'il a un poste important, que Richelieu d’ailleurs en 1632 ne lui accorde pas, car il n’est pas noble et cela, à l’époque, compte énormément. Il ne recouvre sa position de gouverneur à Québec que suite à la noblesse du lieutenant général nommé par Richelieu, Isaac de Razilly, qui le juge plus compétent que lui. Il ne faut donc pas jeter la pierre à Champlain si de nombreux historiens catholiques l’ont encensé au-delà du raisonnable, le déclarant même «un apôtre, un saint», ce qui n’a plus rien à voir avec la vérité historique. D’ailleurs si Dugua de Mons a été oublié jusqu’au xxe siècle, il en a été de même pour Champlain qui a longtemps été négligé. On peut donc espérer que, avec toutes les preuves historiques dont nous disposons, il est temps de reconnaître la réalité. Champlain n’a pas seul fondé Québec, il a eu certes un rôle déterminant dans cette fondation et surtout, il a eu une ténacité remarquable pour conserver Québec en activité au fil des vicissitudes qui ont marqué les vingt premières années de son implantation. En réalité ces deux pionniers saintongeais, qui sont des amis, sont les pères de Québec et de tout le Canada français.

 

Photo de Lionel Serik

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